Bas de la pyramide / Bottom of the Pyramid, exemples et critiques (Karnani)
Nous vous avions présenté dans un post précédent une synthèse du fameux livre de l'économiste C. K. Prahalad, The Fortune at the Bottom of the Pyramid (BOP).
Un rappel de cette théorie : il y a un vrai pouvoir d'achat chez les populations les plus pauvres (les populations du "bas de la pyramide", qui vivent avec moins de deux dollars par jour). Les entreprises devraient vendre des produit adaptés à cette population, elles feraient ainsi des profits tout en contribuant à éradiquer la pauvreté.
Depuis, nous avons rencontré diverses entreprises qui ont essayé de mettre en oeuvre ce principe : vous pouvez consulter notre article sur le partenariat Danone-Grameen (vente de yaourts enrichis à bas prix au Bangladesh), sur la Cemex (prestations pour l'auto-construction de logement), sur KickStart (pompes à eau manuelles pour l'Afrique) ou encore sur les cliniques du réseau SER (prestations de santé pour tous).
Bien sûr, toute théorie soulève son lot de critiques. Ainsi Aneel Karnani, chercheur en économie à l'université du Michigan, a publié récemment une série de contre-arguments à la théorie du BOP :
- Il souligne d'une part que les exemples donnés dans le livre de Prahalad correspondent souvent à des populations qui gagnent plus de deux dollars par jour, c'est-à-dire qui ne sont pas exactement placées le plus bas sur la pyramide des revenus. Les personnes gagnant moins de deux dollars par jour ont selon lui peu d'argent disponible pour des biens qui ne sont pas de première necessité.
- Prahalad suggère de diminuer les prix sans nuire à la qualité des produits (grâce à des innovations techniques, des changements de format, ou en jouant sur l'effet volume ...). Karnani souligne que les exemples de Prahalad surestiment largement la diminution de prix rendue possible grâce à l'innovation technique. Il fait aussi remarquer que vendre un produit à l'unité ne revient pas à le vendre moins cher (n'acheter qu'un seul yaourt au lieu de 6 peut être une solution pour quelqu'un qui a peu d'argent disponible, mais cela ne signifie pas que le yaourt est plus abordable). Il conclut qu'une vraie baisse de prix n'est possible qu'en dégradant la qualité du service rendu ou du produit vendu (ce qui n'est pas un problème en soi).
- Il insiste enfin sur la question morale posée par cette théorie : peut-on encourager des clients pauvres à acheter une télé plutôt que de la nourriture ? C'est tout le problème du libre-arbitre : laissons chacun décider de ses actes, affirme Prahalad, réfléchissons à ce que nous proposons à une population vulnérable, répond Karnani.
Un débat des plus passionnants, ne trouvez-vous pas ? Car si nous avons rencontré des entreprises qui, par leur offre, avaient clairement une incidence sur le recul de la pauvreté, nous reconnaissons aussi certaines limites de la théorie. Exemple : les contenants de dosettes de shampoing, non recyclés dans les PVD, ont vite fait de polluer certains cours d'eau.
En mars, nous nous intéresserons plus longuement et de manière plus approfondie, en collaboration avec un professeur de stratégie d'entreprise, à un modèle d'entreprise qui a lancé une offre BOP. Nous comptons sur cette étude pour enrichir le débat sur la théorie du BOP.
RDV donc au mois d'avril pour nos conclusions sur le sujet !